Manon Lescaut, de l’abbé Prévost (extrait) : le désir et l’argent
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Par rapport aux autres romans du 18e siècle, Manon Lescaut frappe par l'abondance des petits détails prosaïques, et aussi par l'importance qu'y tient l'argent. Autant que le désir du narrateur, Des Grieux, pour Manon, le thème de l'argent conditionne en effet le récit de l'abbé Prévost.
Manon était une créature d'un caractère extraordinaire. Jamais fille n'eut moins d'attachement qu'elle pour l'argent, mais elle ne pouvait être tranquille un moment, avec la crainte d'en manquer. C'était du plaisir et des passe-temps qu'il lui fallait. Elle n'eût jamais voulu toucher un sou, si l'on pouvait se divertir sans qu'il en coûte. Elle ne s'informait pas même quel était le fonds de nos richesses, pourvu qu'elle pût passer agréablement la journée, de sorte que, n'étant ni excessivement livrée au jeu ni capable d'être éblouie par le faste des grandes dépenses, rien n'était plus facile que de la satisfaire, en lui faisant naître tous les jours des amusements de son goût. Mais c'était une chose si nécessaire pour elle, d'être ainsi occupée par le plaisir, qu'il n'y avait pas le moindre fond à faire, sans cela, sur son humeur et sur ses inclinations.
Source : abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731 (extrait)