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« Strophes pour se souvenir », de Louis Aragon

Ce document est lié à l'article «  MANOUCHIAN, Missak (1909-1944)  ».

« Strophes pour se souvenir » (1956) est un poème de Louis Aragon, écrit en hommage aux résistants étrangers du groupe Manouchian qui ont combattu pour la France sous l’Occupation allemande. Ces Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI) furent fusillés par les Allemands au Mont-Valérien le 21 février 1944.
Ce poème est inspiré de la lettre d’adieu écrite par Missak Manouchian à sa femme Mélinée juste avant de mourir. Il sera mis en musique et popularisé plus tard par Léo Ferré sous le titre « L'Affiche rouge ».

 

Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
 
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
 
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
 
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
 
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
 
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
 
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

 

Source : Louis Aragon, Le Roman inachevé, 1956 (extrait)

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Pour citer ce document

Encyclopædia Universalis. « Strophes pour se souvenir », de Louis Aragon [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )