Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos (extrait) : langage et libertinage
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Dans cette première lettre du vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil, nous voyons se dessiner la silhouette du libertin des Liaisons dangereuses. Plein d'ironie et d'arrogance, capable de manier avec aisance aussi bien les codes du sentiment amoureux que ceux du discours religieux, Valmont est d'abord un maître du langage.
Paris, ce 4 août l7**.
LETTRE IV
LE VICOMTE DE VALMONT À LA MARQUISE DE MERTEUIL
À PARIS
Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme. Ce n'est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent même je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérêts nous appellent ; conquérir est notre destin ; il faut le suivre : peut-être au bout de la carrière nous rencontrerons-nous encore ; car, soit dit sans vous fâcher, ma très belle Marquise, vous me suivez au moins d'un pas égal ; et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prêchons la foi chacun de notre côté, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zèle, votre ardente ferveur ; et si ce Dieu-là nous jugeait sur nos Œuvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous étonne, n'est-il pas vrai ? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre ; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir.
Source : Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, partie I, lettre 4, 1782 (extrait)