1850

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Le Père Goriot, d'Honoré de Balzac (extrait)

Dans Le Père Goriot, Eugène de Rastignac, jeune aristocrate provincial venu à Paris pour faire ses études, découvre une société qui ne valorise que la réussite et les apparences. C’est à la pension Vauquer, où il loge, qu’il rencontre le père Goriot. Ce vieil homme vit misérablement après avoir sacrifié son existence et son argent pour ses deux filles ingrates, qui ont réussi socialement et qui le délaissent. Dans ce passage, Honoré de Balzac décrit très précisément la pension Vauquer, ses habitants et son fonctionnement.

La salle contenait à dîner dix-huit personnes et pouvait en admettre une vingtaine ; mais le matin, il ne s’y trouvait que sept locataires dont la réunion offrait pendant le déjeuner l'aspect d'un repas de famille. Chacun descendait en pantoufles, se permettait des observations confidentielles sur la mise ou sur l’air des externes, et sur les événements de la soirée précédente, en s’exprimant avec la confiance de l’intimité. Ces sept pensionnaires étaient les enfants gâtés de madame Vauquer, qui leur mesurait avec une précision d’astronome les soins et les égards, d’après le chiffre de leurs pensions. Une même considération affectait ces êtres rassemblés par le hasard. […]

Aussi le spectacle désolant que présentait l’intérieur de cette maison se répétait-il dans le costume de ses habitués, également délabrés. Les hommes portaient des redingotes dont la couleur était devenue problématique, des chaussures comme il s’en jette au coin des bornes dans les quartiers élégants, du linge élimé, des vêtements qui n’avaient plus que l’âme. Les femmes avaient des robes passées reteintes, déteintes, de vieilles dentelles raccommodées, des gants glacés par l’usage, des collerettes toujours rousses et des fichus éraillés. Si tels étaient les habits, presque tous montraient des corps solidement charpentés, des constitutions qui avaient résisté aux tempêtes de la vie, des faces froides, dures, effacées comme celles des écus démonétisés. Les bouches flétries étaient armées de dents avides. Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action ; non pas de ces drames joués à la lueur des rampes, entre des toiles peintes mais des drames vivants et muets, des drames glacés qui remuaient chaudement le cœur, des drames continus.

Source : Honoré de Balzac, Le Père Goriot, partie 1,1835 (extrait)

Pour citer l'article : « Le Père Goriot, d'Honoré de Balzac (extrait) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://junior.universalis.fr/document/le-pere-goriot-d-honore-de-balzac-extrait/

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