1853

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Le Lys dans la vallée, d’Honoré de Balzac (extrait)

Le Lys dans la vallée est un roman qui figure dans les « Scènes de la vie de campagne » de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac. Il prend la forme d’une longue lettre, écrite par Félix de Vandenesse à sa maîtresse de l’époque, la comtesse de Manerville. Le narrateur y relate son enfance et sa rencontre, lors d’un bal à Tours, avec la comtesse de Mortsauf, dont il tombe éperdument amoureux. Dans cet extrait, qui choqua les lecteurs à la parution du roman, on retrouve les descriptions détaillées de Balzac, ce « peintre » des mœurs de la société française du XIXe siècle.

Mes yeux furent tout à coup frappés par de blanches épaules rebondies sur lesquelles j’aurais voulu pouvoir me rouler, des épaules légèrement rosées qui semblaient rougir comme si elles se trouvaient nues pour la première fois, de pudiques épaules qui avaient une âme, et dont la peau satinée éclatait à la lumière comme un tissu de soie. Ces épaules étaient partagées par une raie, le long de laquelle coula mon regard, plus hardi que ma main. Je me haussai tout palpitant pour voir le corsage et fus complètement fasciné par une gorge chastement couverte d’une gaze, mais dont les globes azurés et d’une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle. Les plus légers détails de cette tête furent des amorces qui réveillèrent en moi des jouissances infinies : le brillant des cheveux lissés au-dessus d’un cou velouté comme celui d’une petite fille, les lignes blanches que le peigne y avait dessinées et où mon imagination courut comme en de frais sentiers, tout me fit perdre l’esprit. Après m’être assuré que personne ne me voyait, je me plongeai dans ce dos comme un enfant qui se jette dans le sein de sa mère, et je baisai toutes ces épaules en y roulant ma tête. Cette femme poussa un cri perçant, que la musique empêcha d’entendre ; elle se retourna, me vit et me dit : « Monsieur ? » Ah ! si elle avait dit : « Mon petit bonhomme, qu’est-ce qui vous prend donc ? » je l’aurais tuée peut-être mais à ce monsieur ! des larmes chaudes jaillirent de mes yeux. Je fus pétrifié par un regard animé d’une sainte colère, par une tête sublime couronnée d’un diadème de cheveux cendrés, en harmonie avec ce dos d’amour. Le pourpre de la pudeur offensée étincela sur son visage que désarmait déjà le pardon de la femme qui comprend une frénésie quand elle en est le principe, et devine des adorations infinies dans les larmes du repentir. Elle s’en alla par un mouvement de reine. Je sentis alors le ridicule de ma position ; alors seulement je compris que j’étais fagoté comme le singe d’un Savoyard. J’eus honte de moi.

Source : Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836 (extrait)

Pour citer l'article : « Le Lys dans la vallée, d’Honoré de Balzac (extrait) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://junior.universalis.fr/document/le-lys-dans-la-vallee-d-honore-de-balzac-extrait/

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