Jacques le Fataliste, de Denis Diderot (extrait) : du narrateur au lecteur
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Tout au long de Jacques le Fataliste, le narrateur ne cesse de s'adresser au lecteur. Il peut se livrer à des digressions ou bien, comme ici, lui proposer de poursuivre lui-même le récit interrompu. La fiction se trouve ainsi enrichie de cette suite d'interruptions et de questionnements.
Et moi, je m'arrête, parce que je vous ai dit de ces deux personnages tout ce que j'en sais. Et les amours de Jacques ? Jacques a dit cent fois qu'il était écrit là-haut qu'il n'en finirait pas l'histoire, et je vois que Jacques avait raison. Je vois, lecteur, que cela vous fâche ; eh bien, reprenez son récit où il l'a laissé, et continuez-le à votre fantaisie, ou bien faites une visite à Mlle Agathe, sachez le nom du village où Jacques est emprisonné ; voyez Jacques, questionnez-le : il ne se fera pas tirer l'oreille pour vous satisfaire ; cela le désennuiera. D'après des mémoires que j'ai de bonnes raisons de tenir pour suspects, je pourrais peut-être suppléer ce qui manque ici; mais à quoi bon ? on ne peut s'intéresser qu'à ce qu'on croit vrai.
Cependant comme il y aurait de la témérité à prononcer sans un mûr examen sur les entretiens de Jacques le Fataliste et de son maître, ouvrage le plus important qui ait paru depuis le Pantagruel de maître François Rabelais, et la vie et les aventures du Compère Mathieu, je relirai ces mémoires avec toute la contention d'esprit et toute l'impartialité dont je suis capable ; et sous huitaine je vous en dirai mon jugement définitif, sauf à me rétracter lorsqu'un plus intelligent que moi me démontrera que je me suis trompé.
Source : Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître (extrait)