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Hommage d’André Malraux à Jean Moulin

Le 19 décembre 1964, les cendres de Jean Moulin sont transférées au Panthéon, en présence du général de Gaulle. André Malraux prononce alors un discours resté gravé dans les mémoires.

Monsieur le président de la République,

Voici donc plus de 20 ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre [sans doute semblable à celui-ci], pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d'un peuple de la nuit. Sans cette cérémonie, combien d'enfants de France sauraient son nom ? Il ne le retrouva lui-même que pour être tué […]

On sait ce que Jean Moulin pensait de la Résistance, au moment où il partit pour Londres : « Il serait fou et criminel de ne pas utiliser, en cas d'action alliée sur le continent, ces troupes prêtes aux sacrifices les plus grands, éparses et anarchiques aujourd'hui, mais pouvant constituer demain une armée cohérente de parachutistes déjà en place, connaissant les lieux, ayant choisi leur adversaire et déterminé leur objectif. » C'était bien l'opinion du général de Gaulle. Néanmoins, lorsque, le 1er janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n'était encore qu'un désordre de courage : une presse clandestine, une source d'informations, une conspiration pour rassembler ces troupes qui n'existaient pas encore. Or ces informations étaient destinées à tel ou tel allié, ces troupes se lèveraient lorsque les Alliés débarqueraient. Certes, les résistants étaient les combattants fidèles aux Alliés. Mais ils voulaient cesser d'être des Français résistants, et devenir la Résistance française. […]

C'est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres. […] C'est pourquoi Jean Moulin avait emporté, dans le double fond d'une boîte d'allumettes, la micro-photo du très simple ordre suivant : « M. Moulin a pour mission de réaliser, dans la zone non directement occupée de la métropole, l'unité d'action de tous les éléments qui résistent à l'ennemi et à ses collaborateurs. » [...]

Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les 8 000 Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit...

[…]

Source : discours d’André Malraux sur Jean Moulin, prononcé le 19 décembre 1964 (extrait)

Pour citer l'article : « Hommage d’André Malraux à Jean Moulin », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://junior.universalis.fr/document/hommage-d-andre-malraux-a-jean-moulin/

Ce document est lié à l'article MOULIN, Jean (1899-1943)