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Lettres, de Madame de Sévigné (extrait) : Racine contre Corneille

Dans ses lettres à sa fille, Madame de Grignan, Madame de Sévigné passe avec légèreté et humour d'un sujet à l'autre. Elle rapporte les dernières anecdotes de la cour ou bien, comme dans cette lettre du 16 mars 1672, elle se livre à une démolition en règle de la pièce de Racine Bajazet, qu'elle venait de voir représenter.

Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées ; ils ne font point tant de façons pour se marier ; le dénouement n’est point bien préparé : on n’entre point dans les raisons de cette grande tuerie Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en la différence. Il y a des endroits froids et faibles, et jamais il n’ira plus loin qu’Alexandre et qu’Andromaque. Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si j’ose me citer. Racine fait des comédies pour Champmeslé : ce n’est pas pour les siècles à venir. Si jamais il n’est plus jeune et qu’il cesse d’être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami Corneille ! Pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi ; et en un mot, c’est bon goût : tenez-vous-y.

Source : Madame de Sévigné, Lettres (extrait)



Pour citer l'article : « Lettres, de Madame de Sévigné (extrait) : Racine contre Corneille », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://junior.universalis.fr/document/lettres-de-madame-de-sevigne-extrait-racine-contre-corneille/

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