1842

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Le Rouge et le Noir, de Stendhal (extrait)

Arrivé à Paris, Julien Sorel vient d’être engagé comme secrétaire du puissant marquis de La Mole. Dans cet extrait, il est introduit dans le monde aristocratique parisien, dont il découvre les codes, qui tranchent nettement avec ceux de sa province et de son rang social.

À six heures, le marquis le fit demander, il regarda avec une peine évidente les bottes de Julien : J’ai un tort à me reprocher, je ne vous ai pas dit que tous les jours à cinq heures et demie, il faut vous habiller.

Julien le regardait sans comprendre.

– Je veux dire mettre des bas. Arsène vous en fera souvenir ; aujourd’hui je ferai vos excuses.

En achevant ces mots, M. de La Mole faisait passer Julien dans un salon resplendissant de dorures. Dans les occasions semblables, M. de Rênal ne manquait jamais de doubler le pas pour avoir l’avantage de passer le premier à la porte. La petite vanité de son ancien patron fit que Julien marcha sur les pieds du marquis, et lui fit beaucoup de mal à cause de sa goutte. – Ah ! il est balourd par-dessus le marché, se dit celui-ci. Il le présenta à une femme de haute taille et d’un aspect imposant. C’était la marquise. Julien lui trouva l’air impertinent, un peu comme madame de Maugiron, la sous-préfète de l’arrondissement de Verrières, quand elle assistait au dîner de la Saint Charles. Un peu troublé de l’extrême magnificence du salon, Julien n’entendit pas ce que disait M. de La Mole. La marquise daigna à peine le regarder. Il y avait quelques hommes parmi lesquels Julien reconnut avec un plaisir indicible le jeune évêque d’Agde, qui avait daigné lui parler quelques mois auparavant à la cérémonie de Bray-le-Haut. Ce jeune prélat fut effrayé sans doute des yeux tendres que fixait sur lui la timidité de Julien, et ne se soucia point de reconnaître ce provincial.

Les hommes réunis dans ce salon semblèrent à Julien avoir quelque chose de triste et de contraint ; on parle bas à Paris, et l’on n’exagère pas les petites choses.

Un joli jeune homme, avec des moustaches, très-pâle et très-élancé, entra vers les six heures et demie ; il avait une tête fort petite.

– Vous vous ferez toujours attendre, dit la marquise, à laquelle il baisait la main.

Julien comprit que c’était le comte de La Mole. Il le trouva charmant dès le premier abord.

Est-il possible, se dit-il, que ce soit là l’homme dont les plaisanteries offensantes doivent me chasser de cette maison.

À force d’examiner le comte Norbert, Julien remarqua qu’il était en bottes et en éperons ; et moi je dois être en souliers, apparemment comme inférieur.

Source : Stendhal, Le Rouge et le Noir, livre II, chap. 2, 1830 (extrait)

Pour citer l'article : « Le Rouge et le Noir, de Stendhal (extrait) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://junior.universalis.fr/document/le-rouge-et-le-noir-de-stendhal-extrait1-1/

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